mercredi 11 avril 2007

En m'installant dans le fond du bus 165, direction nord, un type pousse ses sacs plastiques pour me laisser passer. Je murmure un "non, non, ça ira". En m'asseyant je jette un coup d'oeil sur lui : c'est un viel Indien, à moitié saoûl, plein de poussière, les vêtements crasseux. Autour de lui, une vague odeur acre, qu'on remarque à peine, tout juste assez forte pour rendre ma lecture un peu moins attentive. Il parle tout seul. Au bout d'un moment, il sort un cellulaire en plastique, un jouet pour enfant, énorme, violet. Il le colle à son oreille : "Oui, oui, salut...Oui, vers quelle heure? Oui, super, pis tu passeras prendre un pack de 24, pis on boira ensemble, ok?... Je cheke ça... C'est ça, bye". Manifestement, il croit à son illusion et pense que tout le monde, puisque lui-même y croit si fort, est pris au piège. Ou bien son assurance doit-elle l'aider à se convaincre que tous les passagers prennent son jouet pour un vrai cellulaire? Le plus frappant chez ce viel homme, c'est cette attention inattendue à un détail de paraître qu'il aurait dû oublier. Mais probablement que, dans la misère, ces petits détails le sauvent à ses propres yeux. Ou bien, la grossierté de la feinte exhibe-t-elle la limite qu'il est proche de franchir, celle au-delà de laquelle aucun code, aucune loi, aucune autorité n'a plus cours.
Avant de quitter le bus, il sort une cigarette. Il ne l'allumera pas avant d'être dans la rue.

 
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