vendredi 18 mai 2007

Petit paradoxe de la fête des mères

Le dimanche de la fête des mères, dans la cohue chez un fleuriste. J'attends au comptoir pour payer mes deux pots de marguerites à 6,95$. La file est longue, la boutique contient mal les nombreux clients, mais le beau temps et le sentiment de faire quelque chose de bien en achetant des fleurs pour maman procurent aux gens un sourire léger et prévient l'impatience pourtant attendue dans ce genre de situation. La fleuriste à la caisse discute avec son employée: "Je finis ce bouquet-là et ensuite il faut que je mange". L'employée: "J'ai des pitas et de la salade de lentilles, si tu en veux." Mon tour arrive. La fleuriste me dit: "Mon fils voulait manger du poulet frit Kentucky hier. J'en ai mal au ventre depuis le matin. C'est pas fait pour les gens de quarante ans, ça. C'est pour les jeunes de dix-huit ans." Elle n'y pensera plus ce soir quand son fils lui donnera fièrement son pot de marguerites.

mercredi 11 avril 2007

En m'installant dans le fond du bus 165, direction nord, un type pousse ses sacs plastiques pour me laisser passer. Je murmure un "non, non, ça ira". En m'asseyant je jette un coup d'oeil sur lui : c'est un viel Indien, à moitié saoûl, plein de poussière, les vêtements crasseux. Autour de lui, une vague odeur acre, qu'on remarque à peine, tout juste assez forte pour rendre ma lecture un peu moins attentive. Il parle tout seul. Au bout d'un moment, il sort un cellulaire en plastique, un jouet pour enfant, énorme, violet. Il le colle à son oreille : "Oui, oui, salut...Oui, vers quelle heure? Oui, super, pis tu passeras prendre un pack de 24, pis on boira ensemble, ok?... Je cheke ça... C'est ça, bye". Manifestement, il croit à son illusion et pense que tout le monde, puisque lui-même y croit si fort, est pris au piège. Ou bien son assurance doit-elle l'aider à se convaincre que tous les passagers prennent son jouet pour un vrai cellulaire? Le plus frappant chez ce viel homme, c'est cette attention inattendue à un détail de paraître qu'il aurait dû oublier. Mais probablement que, dans la misère, ces petits détails le sauvent à ses propres yeux. Ou bien, la grossierté de la feinte exhibe-t-elle la limite qu'il est proche de franchir, celle au-delà de laquelle aucun code, aucune loi, aucune autorité n'a plus cours.
Avant de quitter le bus, il sort une cigarette. Il ne l'allumera pas avant d'être dans la rue.

dimanche 25 mars 2007

Lors d'un souper qui réunit étudiants et professeurs du petit département de littérature française de l'université de Victoria, chacun discutent, échangent et conversent un verre à la main, grignotant amuse-gueule et petits-fours. L'ambiance est détendue. Je surprends un dialogue entre la maîtresse de maison, elle aussi enseignante au département, et une autre professeure. Cette dernière est française, émigré au Canada depuis plus dix ans. Elle a suivi le cursus honorum du vieux continent : normale sup, agrégation... Elle s'extasie sur la présentation et les délices du buffet. "Moi tu vois je serais in-ca-pa-ble de faire une chose pareille." L'autre, bien sûr, ne peut que contredire "Mais non voyons, c'est trois fois rien! C'est tout simple à préparer je t'assure." "Non mais moi, vraiment, c'est tout simplement im-po-ssible. Je peux faire semblant tu vois, mais ça donnerait rien". La réponse de l'interlocutrice me saisit : "Oui mais écoute il faut bien qu'il y ait une chose que tu ne saches pas faire. Tu es au sommet partout." Je comprends alors le jeu des deux actrices. La condescendance de l'intellectuelle française, l'admiration de la collègue québécoise. Pour une universitaire renommée, dire "je ne suis pas capable de préparer une table d'hôte comme celle-là" c'est constuire une figure extrêmement signifiante et écrasante à l'encontre d'une autre universitaire. C'est dire : "Tu es une bonne chercheuse, tu es une bonne cuisinière. Moi je ne suis pas une bonne cuisinière mais une excellente chercheuse. Et nous savons, toi et moi, que c'est sur ce dernier critère que nous jugeons de notre valeur."

samedi 24 mars 2007

« Vous ne me payeriez pas un spaghetti, mademoiselle? » La même vielle femme qui m'a hantée depuis le jour où j'ai refusé de lui payer un repas - parce que j'étais trop pressée, parce que je n'avais pas d'argent dans mes poches... peu importe. J'arrête, je lui dis que bien sûr je lui payerais un spaghetti. Lorsque je sors mon porte-monnaie, je remarque qu'elle n'est pas aussi bien habillée que je l'avais pensé. Même manteau vert, un peu usagé. Même visage peint, mais d'un maquillage qui serait resté trop longtemps dans un tiroir. Elle est beaucoup plus petite, beaucoup plus mince que l'image que j'ai gardée d'elle. Je lui donne assez d'argent pour payer un spaghetti et un verre de vin. « Merci, merci, merci, » elle n'arrête pas de me le dire. Et tout ce que j'ai envie de faire, c'est de la remercier de ma part.

lundi 5 mars 2007

Au Pavillon d'Aménagement de l'Université de Montréal, effervescence au petit matin, avant le début d'un colloque. Je longe lentement le couloir qui mène aux toilettes en regardant les photos exposées sur les murs représentant tous les doyens du département. Je me rends compte que mon regard s'arrête exclusivement sur les visages de femmes. Aucune n'est entrée en fonction avant 1960.
Dans les toilettes, je distinngue des voix de femmes qui chuchotent. Elles parlent d'une communication à venir qu'elles jugent "dangereuse". Brusquement leurs voix deviennent plus fortes, presque stridentes. Conversation sur l'art de se maquiller . "Ecoute, un peu de blush, vraiment, ça fait paraître très bien. Si tu veux j'ai mon maquillage avec moi, je t'arrange ça".
Je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi elles parlent plus fort de la couleur d'un fard à paupières que de littérature.

mercredi 28 février 2007

Cet homme ressemble à quelqu’un que j’ai connu, que j’ai aimé. Debout près de l’arrêt de bus 26, il attend et il m’a regardé : je dois ressembler à quelqu’un qu’il a aimé aussi. Il est habillé comme j’aime, magazine : jean bleu foncé, un peu usé par des machines de tissage, chemise blanche, veste courte noire, manteau noir. L’ombre de son sourire, de ses yeux qui me regardent laisse une trace en moi. J’entends le bruit de ses pas qui se rapprochent, des talons, des chaussures en cuir, un cuir qui sent bon. Ses lèvres s’approchent des miennes… et puis il monte dans le bus arrivé en trombe. Je reviens aux vies du dehors, tristes et pâles.

dimanche 25 février 2007

Au pied des escaliers du métro Berri-Uquam, une longue trainée sombre, empreinte laissée par les chaussures pleines de neige sale des centaines de passagers passés là depuis le matin. Une ligne qui frôle le mur, signe de ces gens pressés, qui n'ont pas le temps, un matin de semaine, de prendre un large virage. A quelques pas de là, la trainée disparaît, s'évapore, il ne reste que quelques traces de semelles puis plus rien.
Je n'arrive pas à savoir ce qui me frappe le plus : que tous ces gens aient pris exactement le même chemin, ou que cette trace finisse par disparaître?

samedi 24 février 2007

Qu'en est-il de la chance?

Effervescence sur la rue Saint-Laurent, dans le quartier des bars. Devant la porte d'un club, deux hommes discutent. Un videur et un fêtard sorti fumer une cigarette, chacun jouant à la perfection le rôle du dur à cuire. Dans les seuls "bonsoirs" échangés, ils remarquent, un peu surpris, qu'ils ont un accent semblable, français sans doute. Après avoir fait le tour des lieux communs à échanger dans de telles circonstances -- "l'hiver est long", "il fait trop froid au Québec", "au moins, les montréalais savent faire la fête" -- le noceur ajoute que la différence est énorme entre le climat québécois et celui de sa région natale: il est réunionnais. Le regard du videur s'illumine, il sort sa carte d'identité pour certifier qu'il est, lui aussi, né à la Réunion. La légère surprise fait alors place à l'étonnement le plus complet: ils sont nés dans le même village. Ceux qui se gonflaient les bras quelques minutes plus tôt affichent maintenant une expression amusée, enfantine presque, devant le coup de chance qui les a fait se rencontrer à la sortie d'un bar de l'autre côté du globe, et du thermomètre. Ce hasard qui les fascine commence à m'inquiéter, ayant moi-même revu, ce soir-là, une vague amie de mon école secondaire, dont l'amoureux est un de mes anciens camarades de classe primaire.

jeudi 15 février 2007

Ce matin à 5h52, j'ai cru voir quelqu'un dormir sur le trottoir, ce trottoir couvert d'une quinzaine de centimetres de neige, ce neige qui tombait toujours en pleine tempête. J'ai tourné la tête; ce que j'avais vu, ce n'était que le dessein d'un corps fondu dans la neige, là où devait être couché quelqu'un il n'y a pas longtemps. De l'horreur de cette ombre d'un corps, rien d'autre ne peut être dit.

samedi 10 février 2007

Espace Go, 9 février, pour voir la pièce de Majdi Mouawad, Forêts. Le public a le sentiment d'être privilégié, presque trié sur le volet, parce que les places ont été prises d'assaut depuis longtemps. Un public aisé, content d'être là, intellectuel qui sait se tenir. La pièce est pénible, dramatique, violente, longue. Il faut de l'endurance, mais manifestement on veut nous toucher et nous faire pleurer.
Derrière moi, au moment où l'un des personnages évoque la tuerie de la Polytechnique en 1989, j'entends de petits sanglots qui deviennent de gros sanglots. Comme un immense chagrin qu'on laisse partir quand on est seul, dans sa chambre, sans personne pour entendre. Mais la salle est pleine. Le type pleure de plus en plus fort. Personne ne bouge dans le public, les acteurs n'entendent pas.
Je réalise qu'on peut rire ensemble, pas pleurer. Dans une salle de spectacle les larmes sont silencieuses, on les écrase, on court dans les toilettes quand les lumières se rallument pour se laver le visage. On cache sa peine, comme si on ne pouvait admettre que l'art, quelque fois, fait plus que d'éveiller un sentiment d'empathie, il ranime de vieilles blessures. Il ne s'agit plus de la pitié que l'on éprouve pour son semblable mais de celle que l'on sent encore pour soi.

jeudi 8 février 2007

Le métro arrive à la station Université de Montréal et je sors, accompagnée d’une foule d’étudiants. La masse marche ensemble, prend l’escalier comme un seul corps : têtes qui surgissent et replongent dans le flot d’épaules, genoux et pieds qui doivent agir ensemble pour éviter de trébucher. J’avance dans l’armée de chair, mes yeux rivés sur deux bottes devant moi. Je dois faire correspondre mes pas avec ces bottes pour éviter de marcher sur les talons disloqués. Je lève la tête : un homme reste debout, près du haut de l’escalier. Incapable de descendre, entouré et avalé par la marée qui le noie en vagues, il regarde désespérément le métro qui s’en va.

dimanche 4 février 2007

Douce France

Debout près du banc, un jeune homme attend le tram. Il a un jogging blanc, des chaussures rouges, un manteau avec une capuche bordée de fausse fourrure. Ses mouvements sont brusques. Le fil de son I-Pod glisse le long de son cou et vient se fourrer dans une poche. Il a l'air vide; d'ici on entend sa musique, des basses répétées et des cris. Il pourrait être shaman et diriger une ronde sourde et étouffée. Autour de lui d'autres jeunes, même espèce, mêmes silences sur le visage. On monte dans le tram en direction des quartiers pauvres, ils se mettent à jouer au foot avec une boule de papier, et ils rient. Il descend. On ne sait pas où ils vont, ils remontent une rue d'un pas de Gavroche. Mais il a ri.

vendredi 2 février 2007

En l'absence du quotidien

Assise au bar du Conti. Je lis La Vie extérieure. Je lis des fragments de la vie de gens qu'Annie Ernaux a croisés dans des moments exactement semblables à celui que je vis actuellement, dans la même ville. Mais plutôt que d'observer, d'examiner le quotidien qui grouille autour de moi, les serveurs, barmans et clients qui tournoient, vaquent, bougent, occupent le même espace que moi, je me plonge dans mon livre, dans la vie extérieure qu'une autre a notée à ma place. Paradoxe. La littérature du quotidien me permet de m'évader du mien, qui est pourtant précisément le même.

vendredi 26 janvier 2007

Dans le Starbucks de la rue Saint Denis, un vieux type est assis à côté de nous. Il entre et sort dans le café pour faire la manche dehors. Il a devant lui une pile de papier qu'il découpe, il écrit de temps en temps, il rêvasse. Il parle à sa voisine, lui donne quelques conseils, et tente de demander une petite pièce. Un autre gars s'est mis à côté de lui. Le vieux type lui demande d'où il vient, son origine, son nom... L'autre, on ne sait pourquoi sinon par connerie (j'entends Coluche), se braque. "Pourquoi tu veux savoir mon nom? Oui je suis d'origine chinoise, et alors? T'es québecois toi, pur jus? Mais tu sais que le Québec ça existe que depuis 400 ans?". Le type, affalé sur le canapé, qui a du mal à articuler, ne sait quoi répondre : "je sais pas, c'est juste pour faire connaissance, t'es pas sympa" "Et toi, t'es sympa? t'as vu comment tu parles, affalé comme ça". Il met fin à la conversation comme s'il s'adressait à quelqu'un de dangereux. Il se lève, adresse un sourire entendu aux jeunes filles à côté de lui. Il part, se ravise, se penche sur le type qui n'a pas bougé de son canapé : "Je veux pas être méchant mais tu devrais te laver, tu sens pas bon".
S'est-il rendu compte que ce vieux monsieur n'a même pas de quoi se payer un café et que sentir bon est sans doute le cadet de ses soucis?
Je pense que l'Abbé Pierre vient de mourir.

mardi 23 janvier 2007

Un film montre Elizabeth II en train d'écrire son journal, le soir, alors que l'Angleterre est bouleversée par la mort de la "princesse du peuple" (périphrase qui me semble ridicule). Si ce journal existe, s'il est publié, on saura enfin ce qui se cache derrière le visage impassible de cette femme. Mais c'est un leurre, car elle sait qu'il sera rendu public. Elle l'écrit avec cette idée en tête, il ne peut pas en être autrement. Nous n'avons aucun moyen de savoir ce que se passe vraiment à l'intérieur des "gens".

vendredi 19 janvier 2007

Un taxi dépose un vieux devant une résidence de vieillesse. Les pas qu’il prend pour s’approcher du bâtiment sont courts, hésitants. Sa tête pend vers l’avant, comme si le poids en était insupportable pour sa nuque. Il s’avance, ne voyant rien que la neige, ses propres pieds et le bout de sa canne. Soudain, les pas tremblants s’arrêtent. Son corps reste, il me semble, figé, lorsque sa canne s’enfonce, violemment, dans une flaque gelée devant lui. Il la frappe, encore et encore, chaque coup cassant un peu plus la surface fragile. Je reste immobile, moi aussi frappée, derrière lui. Incapable de voir son visage, je me demande ce qui pourrait y paraître : peut-être efface-t-il, de coups incertains, l’image reflétée d’une vieille figure dégoûtée et enragée ou sourit-il tel un enfant qui prend tout simplement de la joie à entendre craquer de la glace. Il est également possible que son visage n’enregistre aucun indice d’émotion, qu’il casse la glace juste pour repousser de quelques minutes son entrée dans la maison de retraite.

Dans le bus 55, no. 2

Dans le bus 55, un peu avant midi, une lumière vive, l'air frais pince la peau. À la hauteur de la rue Mont-Royal. Le bus, auparavant arrêté au feu rouge, peine à repartir. Une femme noire réalise, mais trop tard, qu'elle vient de manquer son arrêt. Elle se lève, bouscule quelques passagers, se plante devant la porte et crie à l'intention du chauffeur: "Je veux sortir! Laissez-moi sortir!". Une plainte sonore et pathétique. J'ai soudainement l'impression d'assister à un épisode de l'histoire américaine. Petits esclavages du quotidien.

mercredi 17 janvier 2007

Au plateau Mont Royal, une très vieille femme attend devant un restaurant italien. Son manteau vert tombe jusqu’à ses chevilles, entourant son cou de fourrure olivâtre. Elle est très bien coiffée et méticuleusement maquillée. Mentalement je l’insère dans une certaine classe de femmes vieilles, à l’apparence toujours bien soignée, à la peau un peu trop matte et aux joues un peu trop rouges, aux cheveux bouclés de couleur qu’on trouverait quelque part dans le spectre entre le gris et l'orange. Son sac à main est du même cuir noir que celui, étincelant, de ses chaussures. Lorsque je m’approche d’elle, je dévisage les bagues variées sur ses mains lacérées de rides : or, diamants, pierres précieuses. Elle me dévisage à son tour, et de sa bouche peinte en rouge à lèvres cerise foncée provient une seule phrase : « Vous ne me payeriez pas un spaghetti, mademoiselle? »

Le droit de s'asseoir

Mercredi 17 janvier,
Café de l'escholier, juste à coté de l'université, et tout nouvellement équipé en connexion internet sans fil...
16h , j'entre, m'installe, seul, et me connecte à internet... Une serveuse arrive, je commande un café, avec un verre d'eau si possible...
C'est alors que je regarde autour de moi, à ma gauche, deux jeunes filles discutent et rient, derrière moi un autre garçon, seul, pianote, lui aussi sur son ordinateur, plus loin, c'est une fille, avec un ordinateur et une cigarette...
Sur les tables? Des cafés, des cafés, et.... Des cafés, que nos "acteurs du quotidien" sirotent le plus lentement possible... Deux autres personnes entrent en jasant, je les regarde attentivement; ils vont certainement commander...des cafés? La serveuse arrive, avec un café, un verre d'eau et... un coca.
L'exception est là, elle va me permettre de confirmer ma règle.
Car je me pose alors la question; les gens aiment ils le café à ce point?
Afin d'aller jusqu'au bout dans mon "relevé de traces", je demande la carte...
Soda: coca-Orangina-Perrier etc. : 2,80 euros
Jus de fruits: Pago banane-orange-poire etc. : 3,00 euros
Café:1,30 euros
Va t on dans un bar pour le service premier que celui ci s'efforce d'offrir? C'est à dire assouvir nos soifs? Où est ce là le prix, qui, de loin, est le plus interessant à payer...Pour le droit de s'asseoir, à l'abris, au chaud, et de prendre du bon temps, lorsque l'on n'est pas chez soi ?
Moi même suis installé là pour accéder à mes emails, 1 euro30, moins cher qu'au cyber! et puisque j'ai soif, un verre d'eau fera l'affaire !

mardi 16 janvier 2007

graffiti

Sur un coin de la rue St. Denis, un jeune homme joue au djembé en balançant une bouteille d’eau sur sa tête. Par terre devant lui, son bonnet d’hiver déplacé contient quelques sous et une pièce. Je lui souris en baissant les yeux, avant de prendre la petite allée qui débouche sur la Bibliothèque nationale. J’entends toujours le tam-tam derrière moi lorsque je vois, tracées sur le mur d’une pizzeria, de grandes lettres noires en majuscule : VIDE DE SENS.

Le cinquième

10h35, dans le métro, ligne orange, direction Henri-Bourassa. Une femme, mi-vingtaine, mange avec application un pudding au chocolat sans cuillère, collant sa langue sur les parois translucides du gobelet. Elle ne manifeste pas l'empressement de ceux qui ont faim; elle déguste doucement, conscienceusement. Elle ne cherche pas à provoquer l'indignation des autres passagers; elle n'a visiblement pas conscience de l'impolitesse de son geste. J'assiste, impassible, à son péché de gourmandise.

lundi 15 janvier 2007

A la sortie du métro Grands Boulevards, se joue une drôle de scène d'amour. Baisers fougueux, mains dans les cheveux, sourires mouillés, regards complices comme après une folle nuit d'amour. On est en fin d'après midi. Ils sont vieux tous les deux, sans doute autour de 70 ans. Ils se sont appliqués pour leur rendez-vous : elle, jupe, chemisier, mise en pli, maquillage tapageur, talons hauts; lui, chaussures vernies, gomina, mais pas trop, pantalon droit. Tout est passé de mode et vraiment trop. Ils ont du mal à se séparer, il la retient, elle revient, ils s'embrassent, elle sourit et finit par traverser la rue en courant comme si elle allait se faire gronder si elle rentrait trop tard.
C'est une scène très attendrissante. Regard un peu condescendant sur ces amoureux. Comme lorsqu'on surprend deux vieillards qui se tiennent par la main, je me demande d'où nous vient ce regard.

On discute devant la porte de l'épicier de côte des neiges. Deux petites vieilles passent devant nous. Elles sont minuscules, elles portent le même beret, l'une en beige, l'autre en bleu. Elles se tiennent par le bras. Je crois qu'elles sont soeurs, peut-être même jumelles. Mais je me ravise, elles sont si vieilles, qu'on les différencie à peine.

La mode hivernale

Sur les trottoirs, les gens marchent en regardant leurs pieds, en s'assurant de les poser sur les rares interstices laissés par les amas de neige qu'on n'a pas encore déblayée. Les mains plantées dans les poches, le foulard leur couvrant le nez, le bonnet enfoncé sur la tête, ne laissant voir que deux fissures à la place des yeux plissés par les bourrasques. Pendant les quelques heures que dure la tempête, les jugements s'inversent: la jolie femme bien mise pour le travail ne suscite plus l'envie des passantes, sa tenue chic mais trop légère fait pitié. La mode est un luxe de pays chaud.

dimanche 14 janvier 2007

Cette charente où il fait bon vivre

Assise près d une rivière. Un nombre incroyable de petits canards qui batifolent, plongent et s ébrouent sur la berge. Les uns à la suite des autres, un peu comme dans la chanson. Et puis, j aperçois une forme blanche qui virevolte, elle se pose délicatement sur la rive puis repart, dansante, insaisissable, au son des murmures de l eau. Un sac en plastique. J ai cru voir un papillon....

Bus à Montréal, je ne sais plus lequel, le numéro ni où il allait, ni pourquoi j'étais là. Un groupe de jeunes filles montent au niveau de Westmount. Je me souviens en les regardant que j'ai eu 15 ans, que je discutais des heures avec les copines du grand gars du fond de la classe qui avait un an de plus. Un grand, qui fait peur et qu'on admire vaguement. Elles parlent de la même chose, mais en anglais. Elles sont plutôt jolies pour la plupart, en rose. Les parents ont de l'argent, ça se sent. Dans leurs uniformes, dans leur aisance, dans le ton de la voix, dans les ipods, les cellulaires. Tout brille et tout est griffé. Pleine santé, la vie devant elle. Aucun souci. Un bol d'air, des ricanements, de fausses disputes. L'insouciance de la génération à venir a pris le bus. Un peu saturée, je détourne le regard. En face de moi, séparée du reste du groupe par deux adultes, une autre jeune fille. Elle porte le même uniforme, elle a les mains sagement posées sur son sac, elle regarde ses pieds. Elle ne parle à personne, elle ne ricane pas, ne manipule pas d'ipod. Elle pèse deux à trois fois le poids des autres filles.

Boîtes de jeu

À la réouverture de la station-service au coin des rues Saint-Laurent et Jean-Talon, auparavant fermée pour rénovations. Pour célébrer l'événement, on a placé un énorme ballon gonflable en forme de canette de bière de marque Molson Dry. Incongruence dans les proportions. Sentiment de me trouver à l'intérieur d'une boîte de jeu dans laquelle on aurait placé par erreur une pièce appartenant à un autre assortiment.

paris, avril 2005

Je descends du metro. Terminus. Porte de Clignancourt. Je le vois. L'air hargneux, desespéré. Son grand corps usé par la poudre blanche. Mélancolie dans le regard. Il doit être là depuis une heure. Planté devant un cadavre de rat. Il doit être là depuis toujours. Observant la douloureuse agonie de l' animal. Je le regarde. La nuit tombe. Je dois être là depuis une heure. Plantée devant cet homme qui n' en est plus un. Je ne resterais pas toujours au même endroit. Lui si........

barcelone 3O septembre 2006

L' el camino. Un endroit sordide où s agitent des filles esseulées en quête de menue monnaie. Des morceaux de femmes, des demoiselles un peu usees à la poitrine et aux formes avantageuses. Une dénommée Karla, argentine aux yeux doux et au coeur tendre. Un vieil homme bedonnant et lubrique, le regard salace. Musique de mauvais goût, entêtante, lancinante....Malgré la misère sociale, la fête continue. Tous plongent dans le sordide avec la pureté que l on attribue aux anges.... Sexe, alcool pour oublier que le temps s écoule

Dans l'autobus 55

Dans l'autobus 55 (Saint-Laurent), direction sud, en allant rejoindre une amie pour dîner. Il est midi vingt-cinq, je suis en retard. Il fait un temps superbe, le soleil filtre de façon diffuse à travers la crasse laissée sur les fenêtres par la boue qui s'est formée sur la chaussée lorsque la neige, sous l'effet du beau temps, a fondu. Les sièges sont presque tous occupés. Je suis assise du côté gauche de l'autobus, sur un siège individuel. Du coté droit, une femme, la quarantaine avancée, assez mal mise, portant un anorak que je crois être de seconde main, ses cheveux mi-longs en broussaille dont les mèches grises virent au jaunâtre, une canne à la main. À chaque arrêt, le chauffeur d'autobus laisse entrer de nouveaux passagers, qui sont généralement âgés. Ce sont les principaux utilisateurs du transport en commun les jours de semaine, pendant que la population dite "active" pose les fesses sur leur chaise de bureau. Chaque fois qu'un de ces passagers entre, la femme se lève pour céder sa place, contrevenant aux règles de civilité indiquées par un idéogramme à l'entrée de l'autobus: ayant une canne, elle devrait se prévaloir de son droit à s'asseoir. Son geste est ostensible: elle prend bien soin de l'agrémenter de gesticulations et de paroles qu'elle prononce assez haut pour s'assurer d'être entendue par tous les passagers. Malaise provoqué par ce spectacle, par sa répétition, par son inutilité (certains sièges sont toujours libres). Une tentative incompréhensible de donner à voir l'ordre hiérarchique régissant les catégories de passagers, tout en y contrevenant. Un moyen de faire peser l'opprobre sur les passagers qui, comme moi, ne se sont pas levés.

 
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