vendredi 26 janvier 2007

Dans le Starbucks de la rue Saint Denis, un vieux type est assis à côté de nous. Il entre et sort dans le café pour faire la manche dehors. Il a devant lui une pile de papier qu'il découpe, il écrit de temps en temps, il rêvasse. Il parle à sa voisine, lui donne quelques conseils, et tente de demander une petite pièce. Un autre gars s'est mis à côté de lui. Le vieux type lui demande d'où il vient, son origine, son nom... L'autre, on ne sait pourquoi sinon par connerie (j'entends Coluche), se braque. "Pourquoi tu veux savoir mon nom? Oui je suis d'origine chinoise, et alors? T'es québecois toi, pur jus? Mais tu sais que le Québec ça existe que depuis 400 ans?". Le type, affalé sur le canapé, qui a du mal à articuler, ne sait quoi répondre : "je sais pas, c'est juste pour faire connaissance, t'es pas sympa" "Et toi, t'es sympa? t'as vu comment tu parles, affalé comme ça". Il met fin à la conversation comme s'il s'adressait à quelqu'un de dangereux. Il se lève, adresse un sourire entendu aux jeunes filles à côté de lui. Il part, se ravise, se penche sur le type qui n'a pas bougé de son canapé : "Je veux pas être méchant mais tu devrais te laver, tu sens pas bon".
S'est-il rendu compte que ce vieux monsieur n'a même pas de quoi se payer un café et que sentir bon est sans doute le cadet de ses soucis?
Je pense que l'Abbé Pierre vient de mourir.

mardi 23 janvier 2007

Un film montre Elizabeth II en train d'écrire son journal, le soir, alors que l'Angleterre est bouleversée par la mort de la "princesse du peuple" (périphrase qui me semble ridicule). Si ce journal existe, s'il est publié, on saura enfin ce qui se cache derrière le visage impassible de cette femme. Mais c'est un leurre, car elle sait qu'il sera rendu public. Elle l'écrit avec cette idée en tête, il ne peut pas en être autrement. Nous n'avons aucun moyen de savoir ce que se passe vraiment à l'intérieur des "gens".

vendredi 19 janvier 2007

Un taxi dépose un vieux devant une résidence de vieillesse. Les pas qu’il prend pour s’approcher du bâtiment sont courts, hésitants. Sa tête pend vers l’avant, comme si le poids en était insupportable pour sa nuque. Il s’avance, ne voyant rien que la neige, ses propres pieds et le bout de sa canne. Soudain, les pas tremblants s’arrêtent. Son corps reste, il me semble, figé, lorsque sa canne s’enfonce, violemment, dans une flaque gelée devant lui. Il la frappe, encore et encore, chaque coup cassant un peu plus la surface fragile. Je reste immobile, moi aussi frappée, derrière lui. Incapable de voir son visage, je me demande ce qui pourrait y paraître : peut-être efface-t-il, de coups incertains, l’image reflétée d’une vieille figure dégoûtée et enragée ou sourit-il tel un enfant qui prend tout simplement de la joie à entendre craquer de la glace. Il est également possible que son visage n’enregistre aucun indice d’émotion, qu’il casse la glace juste pour repousser de quelques minutes son entrée dans la maison de retraite.

Dans le bus 55, no. 2

Dans le bus 55, un peu avant midi, une lumière vive, l'air frais pince la peau. À la hauteur de la rue Mont-Royal. Le bus, auparavant arrêté au feu rouge, peine à repartir. Une femme noire réalise, mais trop tard, qu'elle vient de manquer son arrêt. Elle se lève, bouscule quelques passagers, se plante devant la porte et crie à l'intention du chauffeur: "Je veux sortir! Laissez-moi sortir!". Une plainte sonore et pathétique. J'ai soudainement l'impression d'assister à un épisode de l'histoire américaine. Petits esclavages du quotidien.

mercredi 17 janvier 2007

Au plateau Mont Royal, une très vieille femme attend devant un restaurant italien. Son manteau vert tombe jusqu’à ses chevilles, entourant son cou de fourrure olivâtre. Elle est très bien coiffée et méticuleusement maquillée. Mentalement je l’insère dans une certaine classe de femmes vieilles, à l’apparence toujours bien soignée, à la peau un peu trop matte et aux joues un peu trop rouges, aux cheveux bouclés de couleur qu’on trouverait quelque part dans le spectre entre le gris et l'orange. Son sac à main est du même cuir noir que celui, étincelant, de ses chaussures. Lorsque je m’approche d’elle, je dévisage les bagues variées sur ses mains lacérées de rides : or, diamants, pierres précieuses. Elle me dévisage à son tour, et de sa bouche peinte en rouge à lèvres cerise foncée provient une seule phrase : « Vous ne me payeriez pas un spaghetti, mademoiselle? »

Le droit de s'asseoir

Mercredi 17 janvier,
Café de l'escholier, juste à coté de l'université, et tout nouvellement équipé en connexion internet sans fil...
16h , j'entre, m'installe, seul, et me connecte à internet... Une serveuse arrive, je commande un café, avec un verre d'eau si possible...
C'est alors que je regarde autour de moi, à ma gauche, deux jeunes filles discutent et rient, derrière moi un autre garçon, seul, pianote, lui aussi sur son ordinateur, plus loin, c'est une fille, avec un ordinateur et une cigarette...
Sur les tables? Des cafés, des cafés, et.... Des cafés, que nos "acteurs du quotidien" sirotent le plus lentement possible... Deux autres personnes entrent en jasant, je les regarde attentivement; ils vont certainement commander...des cafés? La serveuse arrive, avec un café, un verre d'eau et... un coca.
L'exception est là, elle va me permettre de confirmer ma règle.
Car je me pose alors la question; les gens aiment ils le café à ce point?
Afin d'aller jusqu'au bout dans mon "relevé de traces", je demande la carte...
Soda: coca-Orangina-Perrier etc. : 2,80 euros
Jus de fruits: Pago banane-orange-poire etc. : 3,00 euros
Café:1,30 euros
Va t on dans un bar pour le service premier que celui ci s'efforce d'offrir? C'est à dire assouvir nos soifs? Où est ce là le prix, qui, de loin, est le plus interessant à payer...Pour le droit de s'asseoir, à l'abris, au chaud, et de prendre du bon temps, lorsque l'on n'est pas chez soi ?
Moi même suis installé là pour accéder à mes emails, 1 euro30, moins cher qu'au cyber! et puisque j'ai soif, un verre d'eau fera l'affaire !

mardi 16 janvier 2007

graffiti

Sur un coin de la rue St. Denis, un jeune homme joue au djembé en balançant une bouteille d’eau sur sa tête. Par terre devant lui, son bonnet d’hiver déplacé contient quelques sous et une pièce. Je lui souris en baissant les yeux, avant de prendre la petite allée qui débouche sur la Bibliothèque nationale. J’entends toujours le tam-tam derrière moi lorsque je vois, tracées sur le mur d’une pizzeria, de grandes lettres noires en majuscule : VIDE DE SENS.

Le cinquième

10h35, dans le métro, ligne orange, direction Henri-Bourassa. Une femme, mi-vingtaine, mange avec application un pudding au chocolat sans cuillère, collant sa langue sur les parois translucides du gobelet. Elle ne manifeste pas l'empressement de ceux qui ont faim; elle déguste doucement, conscienceusement. Elle ne cherche pas à provoquer l'indignation des autres passagers; elle n'a visiblement pas conscience de l'impolitesse de son geste. J'assiste, impassible, à son péché de gourmandise.

lundi 15 janvier 2007

A la sortie du métro Grands Boulevards, se joue une drôle de scène d'amour. Baisers fougueux, mains dans les cheveux, sourires mouillés, regards complices comme après une folle nuit d'amour. On est en fin d'après midi. Ils sont vieux tous les deux, sans doute autour de 70 ans. Ils se sont appliqués pour leur rendez-vous : elle, jupe, chemisier, mise en pli, maquillage tapageur, talons hauts; lui, chaussures vernies, gomina, mais pas trop, pantalon droit. Tout est passé de mode et vraiment trop. Ils ont du mal à se séparer, il la retient, elle revient, ils s'embrassent, elle sourit et finit par traverser la rue en courant comme si elle allait se faire gronder si elle rentrait trop tard.
C'est une scène très attendrissante. Regard un peu condescendant sur ces amoureux. Comme lorsqu'on surprend deux vieillards qui se tiennent par la main, je me demande d'où nous vient ce regard.

On discute devant la porte de l'épicier de côte des neiges. Deux petites vieilles passent devant nous. Elles sont minuscules, elles portent le même beret, l'une en beige, l'autre en bleu. Elles se tiennent par le bras. Je crois qu'elles sont soeurs, peut-être même jumelles. Mais je me ravise, elles sont si vieilles, qu'on les différencie à peine.

La mode hivernale

Sur les trottoirs, les gens marchent en regardant leurs pieds, en s'assurant de les poser sur les rares interstices laissés par les amas de neige qu'on n'a pas encore déblayée. Les mains plantées dans les poches, le foulard leur couvrant le nez, le bonnet enfoncé sur la tête, ne laissant voir que deux fissures à la place des yeux plissés par les bourrasques. Pendant les quelques heures que dure la tempête, les jugements s'inversent: la jolie femme bien mise pour le travail ne suscite plus l'envie des passantes, sa tenue chic mais trop légère fait pitié. La mode est un luxe de pays chaud.

dimanche 14 janvier 2007

Cette charente où il fait bon vivre

Assise près d une rivière. Un nombre incroyable de petits canards qui batifolent, plongent et s ébrouent sur la berge. Les uns à la suite des autres, un peu comme dans la chanson. Et puis, j aperçois une forme blanche qui virevolte, elle se pose délicatement sur la rive puis repart, dansante, insaisissable, au son des murmures de l eau. Un sac en plastique. J ai cru voir un papillon....

Bus à Montréal, je ne sais plus lequel, le numéro ni où il allait, ni pourquoi j'étais là. Un groupe de jeunes filles montent au niveau de Westmount. Je me souviens en les regardant que j'ai eu 15 ans, que je discutais des heures avec les copines du grand gars du fond de la classe qui avait un an de plus. Un grand, qui fait peur et qu'on admire vaguement. Elles parlent de la même chose, mais en anglais. Elles sont plutôt jolies pour la plupart, en rose. Les parents ont de l'argent, ça se sent. Dans leurs uniformes, dans leur aisance, dans le ton de la voix, dans les ipods, les cellulaires. Tout brille et tout est griffé. Pleine santé, la vie devant elle. Aucun souci. Un bol d'air, des ricanements, de fausses disputes. L'insouciance de la génération à venir a pris le bus. Un peu saturée, je détourne le regard. En face de moi, séparée du reste du groupe par deux adultes, une autre jeune fille. Elle porte le même uniforme, elle a les mains sagement posées sur son sac, elle regarde ses pieds. Elle ne parle à personne, elle ne ricane pas, ne manipule pas d'ipod. Elle pèse deux à trois fois le poids des autres filles.

Boîtes de jeu

À la réouverture de la station-service au coin des rues Saint-Laurent et Jean-Talon, auparavant fermée pour rénovations. Pour célébrer l'événement, on a placé un énorme ballon gonflable en forme de canette de bière de marque Molson Dry. Incongruence dans les proportions. Sentiment de me trouver à l'intérieur d'une boîte de jeu dans laquelle on aurait placé par erreur une pièce appartenant à un autre assortiment.

paris, avril 2005

Je descends du metro. Terminus. Porte de Clignancourt. Je le vois. L'air hargneux, desespéré. Son grand corps usé par la poudre blanche. Mélancolie dans le regard. Il doit être là depuis une heure. Planté devant un cadavre de rat. Il doit être là depuis toujours. Observant la douloureuse agonie de l' animal. Je le regarde. La nuit tombe. Je dois être là depuis une heure. Plantée devant cet homme qui n' en est plus un. Je ne resterais pas toujours au même endroit. Lui si........

barcelone 3O septembre 2006

L' el camino. Un endroit sordide où s agitent des filles esseulées en quête de menue monnaie. Des morceaux de femmes, des demoiselles un peu usees à la poitrine et aux formes avantageuses. Une dénommée Karla, argentine aux yeux doux et au coeur tendre. Un vieil homme bedonnant et lubrique, le regard salace. Musique de mauvais goût, entêtante, lancinante....Malgré la misère sociale, la fête continue. Tous plongent dans le sordide avec la pureté que l on attribue aux anges.... Sexe, alcool pour oublier que le temps s écoule

Dans l'autobus 55

Dans l'autobus 55 (Saint-Laurent), direction sud, en allant rejoindre une amie pour dîner. Il est midi vingt-cinq, je suis en retard. Il fait un temps superbe, le soleil filtre de façon diffuse à travers la crasse laissée sur les fenêtres par la boue qui s'est formée sur la chaussée lorsque la neige, sous l'effet du beau temps, a fondu. Les sièges sont presque tous occupés. Je suis assise du côté gauche de l'autobus, sur un siège individuel. Du coté droit, une femme, la quarantaine avancée, assez mal mise, portant un anorak que je crois être de seconde main, ses cheveux mi-longs en broussaille dont les mèches grises virent au jaunâtre, une canne à la main. À chaque arrêt, le chauffeur d'autobus laisse entrer de nouveaux passagers, qui sont généralement âgés. Ce sont les principaux utilisateurs du transport en commun les jours de semaine, pendant que la population dite "active" pose les fesses sur leur chaise de bureau. Chaque fois qu'un de ces passagers entre, la femme se lève pour céder sa place, contrevenant aux règles de civilité indiquées par un idéogramme à l'entrée de l'autobus: ayant une canne, elle devrait se prévaloir de son droit à s'asseoir. Son geste est ostensible: elle prend bien soin de l'agrémenter de gesticulations et de paroles qu'elle prononce assez haut pour s'assurer d'être entendue par tous les passagers. Malaise provoqué par ce spectacle, par sa répétition, par son inutilité (certains sièges sont toujours libres). Une tentative incompréhensible de donner à voir l'ordre hiérarchique régissant les catégories de passagers, tout en y contrevenant. Un moyen de faire peser l'opprobre sur les passagers qui, comme moi, ne se sont pas levés.

 
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